Le titre m’amuse. L’idée que deux dates de spectacles puissent constituer une tournée me fait sourire car personne n’aurait osé dire ceci avant la pandémie. Mais quoi qu’il en soit, les 25 et 26 mars derniers nous avons pris la route pour le sud-ouest de l’Ontario. Nous pourrions appeler ça un baptême de la route et un baptême de notre spectacle, car nous ne l’avions pas présenté depuis sa conception. Voici donc quelques bribes de mon journal de tournée.

Le jeudi, 24 mars 2022

Il était sept heures du matin quand j’ai dû commencer aujourd’hui. Puisque ce sera la première fois qu’on utilisera des systèmes sans-fil pour le retour de son (in-ears, pour les intimes) et un métronome dans les oreilles (click-tracks), ça rajoute des étapes de préparation. La dernière fois qu’on a tourné, ça fait deux ans et demie, et nous n’étions que deux. Cette fois-ci nous serons cinq sur scène. Ce sera donc très différent.

Il manquait encore des trucs après ma semaine de commissions, alors j’ai fait des courses de dernière minute, j’ai tout flanqué pêle-mêle dans la van, et on est allé faire le montage à la salle de pratique.

La semaine dernière j’ai eu une infection de gorge et donc ma voix était au repos.  Le timing était mauvais parce qu’on va tester des nouvelles chansons en mode acoustique et que j’aurais voulu les roder parfaitement. Finalement ça s’est fait à la générale.

On a réussi à rouler le show deux fois, régler les accrochages et quelques trucs d’arrangement. Une chance qu’on a fait un vrai load-in et montage plutôt qu’une répétition à la maison! Il a fallu que j’y retourne chercher de l’équipement manquant, et qui aurait manqué en tournée autrement. Heureusement que Kingston ne prend que 15 minutes à traverser…

Mais bon, il est minuit et je dois toujours faire ma valise. Ugh.

Le vendredi, 25 mars 2022

Les matins sont durs pour mes gars, et après la journée d’hier, ce matin-ci est dur pour moi aussi. Ils sont arrivés chez mois à 8h,Heure Normale des Artistes (15 minutes en retard). Ma partie de Tetris-instrument contre la van de mon beau-père a pris le même retard. Il faut croire que tout le monde est sur le même fuseau-horaire. À 8h30 on est sur la401. Je peux enfin respirer.

On a long à faire aujourd’hui pour se rendre à Chatham. Il faut traverser Toronto, où le trafic est encore moins prévisible que la météo. Présentement, il me semble qu’on ne ralentit même pas, mais tout peut changer en un coup de vent. D’ailleurs, je ne veux pas trop me prononcer avant la fourche pour la 403, parce qu’il y a presque toujours un bouchon… Justin(batterie) et Alex (basse) sont dans une autre auto et quelque chose me dit qu’ils n’arrêteront même pas dîner. Après Toronto, Erika prendra le relai et je pourrai enfin dormir un peu.

Je me suis réveillé à une demi-heure de Chatham, notre premier arrêt, au beau milieu d’un exposé détaillé d’Eric (clavier/trombone)sur le riz au jasmin et LA sauce soya, introuvable dans notre ville, qui élève la cuisine chinoise à un autre niveau. Décidemment, c’est un jeune homme passionné.

Je reçois une photo d’Alex, il est au bar en face de La Girouette, en train de se faire des chums parmi les clients réguliers. On ne sait jamais quand on peut avoir besoin d’alliés dans une nouvelle ville…

La Girouette est une très belle salle, et nos hôtes nous ont accueilli fort chaleureusement. Le caractère intime et communautaire est rafraîchissant, surtout que c’est leur premier événement social depuis le déconfinement. Des sourires, ça faisait longtemps! Ils n’ont pas semblé me tenir rancœur d’avoir massacré la deuxième chanson du show; une bourde comme ça faisait dix ans que je n’avais pas commis sur scène. Très accueillants, dis-je donc.

Mise à jour du load-out : Le bar d’en face n’est plus le même à cette heure-ci. Alex le regarde avec fascination, comme épris d’une nostalgie (ou est-ce l’effroi?) que lui inspire les nouveaux occupants. Chose certaine, ses alliés ont déserté et nous ferions mieux de quitter les lieux.

Le samedi, 26 mars 2022

Ma règle de tournée numéro un : éviter pain et patates à toutes les occasions. Cette règle m’a bien servie jusqu’à date, et ce matin j’ai trouvé ma deuxième règle : se méfier des saucisses à déjeuner à l’hôtel. Nous avons été sages hier soir et pourtant, ceux parmi nous qui ont croisé le fer avec la vilaine saucisse ce matin ont le foie gonflé. Hier soir j’ai spotté un restaurant qui se vantait d’avoir inventé la pizza hawaiienne. J’ai fait promettre à tout le monde qu’on irait dîner là, mais on va mettre une croix là-dessus pour aujourd’hui. Le band m’avoue ce que je savais déjà : qu’ils m’avaient pris en pitié hier soir. En route vers Sarnia, alors.

Pendant la balance de son, on a élucidé le mystère des mixes de moniteurs qui changent constamment. Les systèmes sans-fil semblent se faire de l’interférence. La première fois qu’on teste de l’équipement, il y a toujours des bogues. J’aimerais retourner voir Dan le gars de son à Chatham pour lui dire, mais il devait s’en douter. Au moins, pour ce soir c’est réglé.

On dîne enfin. Sarnia est une ville intéressante, aux divers contrastes. C’est très beau, très fleuri l’été, et habité d’une énergie que je ne saurais expliquer. La plage Canatara, le lac Huron et le lac Saint-Clair sont des atouts qui embellissent la ville. La dernière fois que je suis venu, je n’avais vu que ces atouts, mais en s’en venant, la fameuse mappe de Google nous a fait passer par la vallée pétrochimique. C’est un peu bouleversant parce que c’est un contraste total avec la beauté de cette ville, mais en même temps, c’est la main qui la nourrit. Ce sont ces contrastes qui sont intéressants, qui rendent Sarnia difficile à cerner, peut-être parce qu’elle ne peut pas l’être.

Le show au Imperial Theatre a vraiment bien été. Tout le monde était à l’aise, et le public nous a accueilli comme un des leurs. Erika est née à Sarnia, alors il lui reste un lien avec des amis de la famille et la communauté francophone. Le gars de son ne comprenait pas un mot de français, mais il nous a glissé un mot sur l’atmosphère du show. Ç’a vraiment été magique.

Le dimanche, 27 mars 2022

Il est sept heures du matin. On a fêté tard hier soir et malgré l’alcool, je me sens mieux qu’hier matin après la saucisse. J’étais tanné de me retourner dans mon lit alors j’ai décidé d’aller flâner dans le lobby. La dame à l’entrée est très souriante. Ça fait du bien de voir des visages et des dents après deux ans de pandémie. Je lis les nouvelles, je jase avec elle. Ça me fait oublier le café faible que je sirote depuis une heure.

La journée du retour est toujours un peu drôle. Il y a un mélange d’épuisement, de nostalgie et de renouveau. Hier soir, étant donné les fortes opinions d’Eric sur la cuisine asiatique, je lui demandé de nous trouver l’arrêt lunch d’aujourd’hui, afin qu’il nous montre ce qu’est la vraie cuisine chinoise. Il nous a emmené une plaza à Mississauga où tous les noms de magasins étaient écrits en caractères chinois. Le lunch a impressionné tout le monde, même Justin qui est reconnu pour sa diète pré-adolescente. Il en parle encore, et ça fait trois semaines. Eric nous a parlé d’étiquette avec les chopsticks—la plupart les faux-pas demandent un niveau d’habileté assez élevé, alors aucun danger pour nous.

La semaine du 28 mars

Et puis, après avoir ramené tout le monde chez eux, on fait les courses d’avant-tournée en sens inverse. On désespère quelques jours à cause des feux à éteindre et du désordre dans l’appartement. Le troisième jour, on trouve enfin le courage de se reprendre en main. Deux jours de spectacle nous ont demandé sept jours de travail cette fois-ci car il y avait beaucoup de choses à figurer avant d’arriver au premier concert.

Vous aurez sans doute remarqué que je parle beaucoup moins du spectacle que ce qui l’entoure. C’est qu’à part l’impression que nous laisse le spectacle, on ne se rappelle que de très peu de choses. On est si intensément dans le moment présent que tout se passe tout seul, d’instinct. De toute façon, à quoi bon vous le décrire, vous viendrez le voir quand on passera chez vous!

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