Monologues et dialogues

Rien de nouveau

NB. Cet article traite de guerre et de désespoir. À éviter si ces sujets vous rendent trop anxieux.

Il y a de ces livres que je trouve désolants, mais beaux. Ce sont ceux-là qui laisse la plus grande impression sur moi parce qu’ils ont quelque chose d’authentique, d’intouchable. Les observations y sont crues, mais c’est cette approche littéraire qui révèle un respect pour le sujet de la mort, de la guerre, de la souffrance humaine. C’est sans doute la seule perspective possible pour un auteur ayant vécu lui-même ces misères. Une œuvre comme la sienne, lorsqu’on la lit, sent de préférence le moisi, comme si la misère du siècle passé transpirait à travers la couverture.

Ces livres étaient les seuls que j’arrivais à terminer jadis. À ce jour, ce sont les seuls que je lis presque d’un trait, en quelques jours à peine. J’oublie souvent de m’arrêter pour manger, et parfois même de respirer. La première fois que ça m’est arrivé, je lisais Slaughterhouse Five (Kurt Vonnegut Jr.) qu’un ami proche m’avait « prêté ».  Quand je lui ai retourné le mois passé, il avait oublié comment il s’en était départi, il y a six ans.

Le mot qui me vient en tête avec ce livre est : « absurde ». On représente candidement l’absurdité de la guerre dans toute sa splendeur. L’enfant-soldat. Le vieillard en uniforme. Le soldat exécuté pour avoir pris une théière. Le bombardement de Dresde auquel le personnage principal survit en tant que prisonnier de guerre était pourtant l’œuvre de ses alliés, mais rien n’est moins absurde. On ressent que la mort n’y est plus extraordinaire, qu’il n’y a pas là matière à s’émouvoir. Ainsi va la vie. So it goes.

Et puis tout récemment, Alex (notre bassiste) m’a suggéré de lire Erich Maria Remarque. J’ai vécu la même torpeur qu’avec Slaughterhouse Five quand je me suis lancé dans À l’ouest, rien de nouveau. Présenté comme le journal de tranchée d’un soldat allemand pendant la Grande Guerre, le ton du livre est dans la même veine d’absurdité, de désensibilisation à la mort, de non-jugement. Ce qui en ressort le plus par contre, c’est à quel point tout est arbitraire. La question « pourquoi lui et pas moi » est tatouée partout sur les pages du livre.

L’impuissance y est partout. Le plus cruel c’est que le destin est souvent plus clément envers le soldat qui s’y soumet qu’il ne l’est envers celui qui tente trop d’agir. Le soldat est la victime de la guerre, et non la cause. C’est une vérité qu’on peine toujours à comprendre cent ans plus tard. Dès l’appel aux volontaires, des victimes sont enjôlées par un sentiment patriotique (ou désignées si on les conscrit), enrôlées et sacrifiées au nom du nationalisme. Ceux qui survivent n’en sont pas moins victimes. Et si le livre suit la perspective d’un allemand, n’allons pas croire que c’était très différent de l’autre côté de la ligne.

Les œuvres de cette trempe sont très dures, mais je réitère que je les trouve belles. L’expérience humaine vaut la peine d’être exprimée en entier, même le laid et l’atroce. Peut-être même particulièrement le laid et l’atroce. Le jour du souvenir vient tout juste de passer, et je voudrais poser cette question : comment se souvenir réellement des victimes, de leur vécu, de leur perspective, de leur souffrance, sans ces œuvres d’art? C’est le seul réel souvenir, la seule vraie mémoire que nous avons de l’expérience humaine; l’histoire est écrite par les vainqueurs, mais l’art est créé par l’individu. Le survivant. Le témoin. La personne qui était sur le terrain et qui est la seule à réellement comprendre. Leur témoignage est normalement beaucoup plus sobre, beaucoup moins noir et blanc, beaucoup plus gris. À l’image de l’humain.

Pour terminer, je vous invite à lire ces œuvres. Ou encore, allez voir le film Im Westen Nichts Neues sur Netflix. C’est nouveau de cette année, et c’est extrêmement bien fait. Sans suivre le livre à la lettre, il en suit l’esprit et rend vraiment compte de toute la souffrance du soldat. Nous vivons malheureusement dans un monde belliqueux, et je crois que le plus important c’est de l’admettre et de chercher à le comprendre. La guerre n’est rien de nouveau. L’art est là pour nous en parler.

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